Cinéma islandais : les talents du 7ème art


Le cinéma islandais surfe sur la vague du succès du polar en littérature. Des enquêtes venues du froid dont les scandinaves sont devenus maîtres. En dehors des meurtres, les réalisateurs parlent surtout de la nature du pays et des maux de leur société. Un panel limité mais qui ouvre la voie à de futurs beaux projets. A ce jour, la plus grande star de ce petit pays demeure l'orque de "Sauvez Willy", Keiko. Un destin tragique qui bouleversa le monde.

Films et réalisateurs d'Islande


La cité des jarres Polar islandais

A l'instar du polar, le cinéma islandais ne cesse de se démarquer ces dernières années. Films, séries et documentaires deviennent peu à peu des incontournables du cinéma mondial. Un secteur en pleine expansion. Et ce probablement grâce à la création en 1979 de l'Icelandic Film Fund. Comme le CNC en France, l'institution finance de nombreux projets. Leur budget est conséquent et permet l'éclosion de films importants. 


Il faut cependant attendre les années 2000 pour visionner les premiers succès internationaux. Le cinéma islandais se fait d'abord connaître avec le film "101 Reykjavík", réalisé par Baltasar Kormákur.  Inspiré du livre éponyme de Hallgrímur Helgason, le film doit sa force médiatique à la présence de l'espagnole Victoria Abril. Le film montre le quotidien d'un jeune chômeur à Reykjavík, plus préoccupé par l'alcool, les filles et le sexe que par le travail. Hlynur, c'est son nom, voit sa vie chamboulée lorsque la petite amie de sa mère, Lolla, incarnée par Victoria Abril, vient s'installer chez eux. 


Fort de son succès, Baltasar Kormákur sort en 2006 le film Mýrin (La cité des Jarres), fidèle adaptation du roman à succès de Arnaldur Indriðason, traitant de l'inquiétude du DeCode Genetics. Ce film est devenu l'un des plus grands succès islandais de tous les temps, avec plus de 100 000 entrées. Un habitant sur trois a vu "La cité des Jarres". Si on enlève les enfants, presque tous les Islandais l'ont vu. "Cela en dit plus long sur les Islandais que sur le film" a commenté le réalisateur. Baltasar Kormákur signe en 2015 la série "Trapped" en deux saisons. Une enquête dans le village isolé de Seyðisfjörður où un corps mutilé vient d'être retrouvé. 

Noi Albinoi Cinéma islandais

Ágúst Guðmundsson a, lui, connu un certain succès avec son film "The Seagull's Laughter". L'histoire d'une jeune islandaise mystérieuse partie s'exiler aux USA qui revient dans sa terre natale, un petit village de pêcheurs près de Reykjavík. Avec neuf films à son actif, le dernier en 2013, Guðmunsson est l'un des plus prolifiques réalisateurs islandais


Autre réalisateur, danois mais d'origine slandaise : Dagur Kari. En 2003, il réalise "Nói l'albinos" qui marque le début de l'empreinte islandaise dans le 7ème art . Le jeune Nói vit dans un fjord reculé, coupé du monde, cerné par les montagnes. Il rêve de s'en échapper avec une fille du village. La nature est la véritable héroïne du long métrage. Une nature sauvage et imprévisible. Islandaise en quelque sorte. 


Le film Strákarnir okkar (Esprit d'équipe), de Róbert I. Douglas aborde, lui, le thème de l'homosexualité dans le sport. Un joueur de football professionnel se retrouve confronté à l'incompréhension de ses coéquipiers et de sa famille après son coming out. Il intègre alors une équipe gay. Róbert I. Douglas est bien islandais, malgré son nom. Sa mère est islandaise, son père irlandais. S'il a passé la plus grande partie de sa vie en Irlande, la majorité de ses films est tournée en Islande. 

Back Soon - Solveig Anspach Cinéma islandais

En France, la réalisatrice la plus connue est Sólveig Anspach. D'une mère islandaise et d'un père autrichien, elle fait ses études en France, à la FEMIS. Elle obtient par la suite la nationalité française. Réalisatrice de documentaires au début de sa carrière, Sólveig Anspach s'est essayé à plusieurs reprises au long métrage de fiction. Avec succès. "Hauts les cœurs !", avec Karin Viard, est sélectionné pour le festival de Cannes, dans la quinzaine des réalisateurs. L'actrice obtient, elle, le césar de la meilleure interprétation féminine. 


En 2003, Sólveig dirige Élodie Bouchez dans "Stormy Weather". Avec "Backsoon", elle signe une pure comédie totalement déjantée. L'histoire d'une poétesse de Reykjavík, dealeuse d'herbe ponctuelle, perdue dans sa vie au milieu de ses clients, de ses enfants, d'un admirateur français et d'une basse-cour peu coopérative. 2014, elle travaille à nouveau avec Karin Viard sur "Lulu, femme nue", inspirée de la bande dessinée d'Étienne Davodeau. Quelques mois avant son décès, Toute l'Islande et Sólveig ont travaillé à sa biographie. Vous la trouverez en bas de cet article sur le cinéma, telle que Sólveig l'a validée. 

Woman at war Cinéma islandais

Dans le même temps, deux films cartonnent en Islande, ceux, musicaux, de Sigur Rós : "Heima" en 2007 et "Inni" en 2011. Depuis 2015, le cinéma islandais se fait de plus en plus remarquer. D'abord avec "Sparrows" de Rúnar Rúnarsson qui a reçu quatre prix au Festival de Cinéma Européen des Arcs. Ensuite avec "Artic" dont le rôle principal est joué par le majestueux Mads Mikkelsen. 


Mais le carton mondial date de 2018 : "Woman at War" de Benedikt Erlingsson. Une femme se bat contre le développement d'une usine d'aluminium qui saccage le paysage et pollue la terre islandaise. Sujet hautement débattu dans le pays. Une fronde s'est élevée contre cette usine il y a quelques années, avec pour cheffe de file une certaine Björk


Björk qui a reçu une palme d'interprétation féminine à Cannes pour le film de Lars Von Trier "Dancer in the dark". Dans la lignée de "Woman at war" sort "Mjólk, la guerre du lait" de Grimur Hakonarson. La fiction traite un sujet bien réel : la main-mise abusive des grosses entreprises face au petit agriculteur. Dans ce cas, l'exploitation du lait. 

Floki dans la série Viking  - Islande

Au-delà de ça, l'Islande forge sa réputation sur l'accueil des productions étrangères. L'État islandais a mis en place des mesures pour donner des aides financières aux réalisateurs venant tourner dans le pays. Les paysages atypiques et exceptionnels ont fait le reste : si le plus célèbre film reste le James Bond "Meurs un autre jour", tourné en partie à Jökulsárlón, d'autres grandes productions ont fait le déplacement : Batman Begins, Le 5ème élément, Hostel 2,  La ligue des gentlemen extraordinaires, Interstellar, La vie rêvée de Walter Mitty ou encore Tomb Raider, Star wars ou Prometheus. Les clips, les pubs s'invitent aussi dans les tournages en Islande. Et les séries... 


Comme Vikings ou Game of Thrones. C'est dans cette dernière série que l'acteur islandais Hafþór Júlíus Björnsson a impressionné la planète pour son rôle de Ser Gregor Clegane, dit La Montagne. En 2020, la célèbre plateforme Netflix annonce la série policière "Les meurtres de Valhalla". Une enquetrice attend l'aide d'un homologue venu de Norvège pour l'aider à résoudre le mystère de plusieurs meurtres, qui mènenet tous à un orphelinat. 


Keiko, l'orque islandais de "Sauvez Willy"


Keiko, orque de Sauvez Willy - Islande

Keiko est une des stars islandaises les plus connues. Un destin brisé par la captivité. Il aura connu la gloire hollywoodienne, trois films au succès planétaire. Mais si peu la liberté, la vraie. Étrange destin que celui de Keiko, alias Willy, l'orque le plus célèbre du monde. 


Il est capturé au large des côtes islandaises en 1979, sans doute âgé de 2 ou 3 ans, un âge très jeune pour les orques, il est à peine sevré. Sa vie désormais, c'est un bassin. Nommé Keiko, qui veut dire "chanceux" en japonais, il est transféré dans un marineland islandais. Il est ensuite vendu au Canada, puis au Mexique, avant d'être casté par l'équipe de "Sauvez Willy". Il joue le rôle d'un orque captif qui reprend sa liberté grâce à l'amour d'un enfant.


La réalité va tenter de rejoindre la fiction. Une association se crée : "Free Willy", pour libérer l'orque, malmené par des conditions de captivité difficiles (bassin trop petit, trop chaud, mauvaise hygiène). Poussé par la pression populaire, la Warner Bross met au point un programme pour remettre Keiko en liberté. Après une étape dans un aquarium de l'Oregon, Keiko débarque dans les eaux islandaises, ses eaux natales, en 1998. 

Affiche du film 'Sauvez Willy' avec Keiko l'orque islandais

Un bassin est spécialement aménagé pour lui au large des îles Vestmann. Le défi est immense : Keiko, après 20 ans de captivité doit réapprendre à se nourrir seul, à chasser, à plonger dans des eaux très profondes. Le programme coûte 20 millions de dollars. Et est un semi-échec : Keiko dépend toujours des humains pour se nourrir, même si ses sorties hors de son enclos et ses rencontres avec d'autres orques sont fréquentes. Finalement, le 14 juillet 2002, Keiko ne revient pas dans son enclos. Il rejoint un groupe d'orques et traverse avec eux l'Atlantique Nord, suivi à la trace par une équipe de scientifiques grâce à une balise GPS.


En septembre de la même année, Keiko réapparaît au regard des hommes en Norvège, dans un fjord de l'ouest du pays, à Skaalvik. Il a parcouru 1400km, après avoir vécu avec des groupes d'orques, chassé et communiqué avec eux. Mais dans ce fjord, Keiko reprend contact avec les humains. Et avec leurs maladies. L'orque tombe malade au printemps 2003, une pneumonie. Il meurt à 27 ans, le 12 septembre. Il était le 2ème mâle le plus âgé à avoir survécu en captivité. Il est enterré en Norvège. 


Solveig Anspach, réalisatrice franco-islandaise


Biographie réalisée en 2013 avec Sólveig elle-même.


La réalisatrice Sólveig Anspach est la plus française des Islandaises. Ses films oscillent entre gravité et humour, traitant souvent de sujets difficiles, toujours avec cette pointe de recul qui fait sourire le spectateur. Entre documentaires, courts et longs-métrages, Sólveig met en avant les femmes et l’Islande. Retour sur sa carrière.


Sólveig Anspach Cinéma islandais

Sólveig Anspach naît en 1960, à Vestmannaeyjer, en Islande. Sa mère, islandaise, est la première femme architecte du pays. Un modèle pour Sólveig. Elle lui inspire la conviction que les femmes peuvent tout faire, à condition d’être plus tenace que les hommes. Elle se souviendra de ce conseil en choisissant la voie du cinéma. Quant à son père, américain, c’est un cinéphile. Il initie Sólveig à cet art en l’amenant voir très régulièrement des films.


Après des études de philosophie et psychologie clinique, Sólveig ressort diplômée de la Fémis, école supérieure des métiers de l’image et du son, section réalisation, en 1989. Dès l’obtention de son diplôme, elle fait ses armes avec de nombreux courts métrages et documentaires. Transparaît immédiatement une grande sensibilité par la mise en avant de ses personnages, très souvent féminins. Elle les filme au plus près dévoilant toute leur psychologie, tout en laissant une grande liberté d’action à ses actrices. Sa vision du cinéma est celle d’un tissage où la réalisatrice apporte la trame principale et où chacun intègre un fil de couleur. Un imprévu dans le scénario, un accident de parcours, et le tournage prend du sens. Son cinéma est celui du partage, du lien et du travail d’équipe, attendant essentiellement des acteurs de la sincérité.


La sincérité, c’est ce qui ressort de ses films subtils et intimistes. Pour elle, le cinéma doit être un choc émotionnel. Son œuvre dévoile des faits de société graves et moins graves, dans une simplicité évidente. Documentaires, courts et longs-métrages, Sólveig dépeint toujours une réalité de la condition humaine. La maladie avec « Hauts les cœurs ! », la peine de mort avec « Made in the USA », le deuil avec « Queen of Montreuil », la guerre avec deux courts-métrages sur Sarajevo ou encore la prison ou les délits avec « Par amour », « La Tire » ou « Que personne ne bouge ! ». Ce dernier film de 58’ remporte en 1998 le Prix du Public et du Meilleur Documentaire au Festival International du film de femmes de Créteil. Une première reconnaissance de son travail. 

Affiche Haut les coeurs ! Solveig Anspach

L’année suivante, sort « Haut les cœurs ! ». Succès immédiat. Karin Viard obtient le César de la Meilleur Actrice en 2000 pour ce rôle où elle campe une femme enceinte atteinte d’un cancer. L’héroïne est confrontée à de terribles décisions, partagée entre le bonheur de devenir mère et la réalité abrupte de la mort à venir. Un film sensible et intimiste où Sólveig laisse parler son expérience de la maladie.


Malgré la lourdeur des sujets traités, Sólveig glisse toujours une pointe d’humour dans ses films. Peut-on rire de tout ? Sólveig nous apprend que nous pouvons au moins dédramatiser les malheureux hasards de la vie. Face au cancer d’Emma, l’héroïne de « Haut les cœurs ! », son mari tente avec succès de faire rire sa femme et le spectateur. L’humour permet de garder un pied dans la réalité pour ne pas sombrer dans les méandres de la terreur. The show must go on, la vie continue. Le cinéphile retrouve cette dualité dans le dernier film de Sólveig Anspach, « Queen of Montreuil ».


Ce film évoque, tout en finesse et délicatesse, le deuil. Après la perte de son mari, l’héroïne tente de surmonter sa peine. Embarrassée par l’urne funéraire, elle recueille deux islandais un peu fous, mais bienveillants, chez elle. Elle va réapprendre à vivre par eux, mais surtout par le phoque qui s’invite dans sa salle de bain. En Islande, le phoque est à l’origine de nombreuses légendes, notamment celle selon laquelle il serait une réincarnation de l’être humain. Film émouvant et drôle à la fois, Sólveig perpétue la tradition islandaise du mélange de la folie, de l’humour et de la poésie. 

Affiche de Stormy Weather Solveig Anspach

L’Islande est d’ailleurs omniprésente dans sa filmographie. Sólveig Anspach vit en France mais entretient un lien étroit avec son pays d’origine. En 2001, elle réalise le documentaire « Reykjavík, des Elfes dans la ville ». En 2003, elle met en scène une autre actrice française, Élodie Bouchez, dans le film « Stormy Weather », tourné dans son île natale, Vestmannaeyjer. L’histoire est celle d’une psychiatre qui s’attache à ses patientes. 


L’île lui inspire un autre court, éponyme, racontant les rêves et souvenirs des habitants quinze ans après une éruption volcanique. Éruption que Sólveig a elle-même vécu. Toujours l’Islande avec un autre court, « Le chemin de Kjölur », où des cavaliers traversent la région la plus désertique du pays. Dans « Haut les cœurs ! », le frère de l’héroïne s’invente une vie en Islande, avec cette réplique clichée qui fait sourire les islandophiles « Les Islandais sont sympas. Ils ne parlent pas beaucoup, sauf quand ils boivent. »


2006, nouveau tournage en Islande avec le film le plus déjanté de Sólveig, « Back Soon ». Un film hilarant dans lequel on retrouve cet esprit islandais loufoque. L’héroïne, jouée par la poétesse islandaise Ditta Jónsdóttir, souhaite revendre son commerce de vente de cannabis pour se consacrer à ses deux fils et quitter le pays. Elle va se retrouver embarquée dans tout un tas d’aventures incongrues. 

Lulu femme nue Solveig Anspach

Quatre ans plus tard, Sólveig s’essaye au téléfilm avec « Louise Michel, la rebelle ». Encore une fois, la réalisatrice met en avant les femmes. L’actrice française, Sylvie Testud, tient parfaitement le rôle de Louise Michel, cette rebelle communarde, qui défia l’autorité française et qui ne cessa de se battre pour ses convictions, résistante dans l’âme.


Sólveig vient de finir le tournage de son prochain film « Lulu, femme nue ». Actuellement en montage, il est inspiré de la bande dessinée d’Étienne Davodeau. L’histoire est celle de Lulu, accablée par une vie qu’elle ne maîtrise plus, qui décide après un énième entretien raté, de ne pas rentrer chez elle. Elle découvre un sentiment de liberté et d’espoir. Personnage idéal d’un film de Sólveig, l’adaptation cinématographique promet de belles émotions, d’autant que Lulu est jouée par Karin Viard.


Le cinéma de Sólveig Anspach est un cinéma profondément humain et sensible. On pleure, on rit et on s’émerveille de l’esthétique simple de ses films. Cette conteuse transmet des histoires fortes. La chance du cinéphile, c’est que Sólveig n’arrêtera de filmer que quand elle sera sourde et aveugle. Autrement dit, encore de beaux films à venir. 


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