La "pêche à Islande" :

les marins-pêcheurs bretons en mers du nord


Dès le XVIème siècle, les marins-pêcheurs bretons arpentent les eaux de la côte islandaise. La pêche morutière se pratique essentiellement à Terre-Neuve, mais les eaux très poissonneuses de la Mer d’Islande attirent les pêcheurs. C’est à partir des années 1850 que la pêche morutière s’organise réellement. A bord de goélettes ou de dundees, les pêcheurs gagnent les mers d’Islande. En Bretagne, on les surnommes les "Islandais". Malgré les dangers, ils reviennent avec des cales chargées de poissons. La « Grande Pêche », également nommée la "pêche à Islande" durera jusque dans les années 1930. 


La « pêche à Islande », grande campagne morutière des Bretons


Sur des goélettes à huniers, connus sous le nom de goélettes paimpolaises, les marins bretons partaient pour de longs mois de campagne maritime. Toujours au péril de leur vie. Les conditions de navigation et de pêche sont extrêmement dures. 

Conditions de vie des marins-pêcheurs bretons

Goélette des pêcheurs bretons pour la pêche à Islande

Les dangers de la mer sont omniprésents. Sur place, ils affrontent régulièrement des tempêtes et autres intempéries. Parfois, la dérive des icebergs menace leurs bateaux. Sans compter que le climat islandais est bien plus froid qu’en Bretagne. 


Les conditions de travail ne valent guère mieux que les conditions climatiques. Les marins sont loin de leurs familles, isolés sur des bateaux non équipés et vivent dans un environnement misérable. A bord, rien n'est pensé pour les hommes. Tout est élaboré pour une rentabilité maximale de la pêche. Les pêcheurs vivent dans une misère inconcevable. Un environnement exécrable. 


Absence totale d'hygiène, malnutrition, aucun confort, même pas pour le repos. Le plus souvent, les pêcheurs s'endorment tout habillés. Les vêtements trempés et imprégnés de l'odeur des viscères des poissons. La dépense physique est si intense qu’il arrive souvent aux marins de s’endormir n’importe où, à même le pont du bateau. 


L’alimentation est pauvre et toujours la même. Peu de vivres sont embarqués au départ. Et l'eau douce est rationnée. En revanche, l’alcool coule à flot. Les armateurs choisissent d'abreuver les marins en vin plutôt qu'en eau. Un homme ivre n'est-il pas plus enclin à braver la mort ? L'alcool ne donne-t-il pas ce courage insensé de défier les éléments ? Et l'alcool ne fait-il pas oublier sa propre déchéance ? Les professionnels de l'industrie de la pêche ne voient que des avantages à enivrer lespêcheurs "à Islande".


Les journées sont longues : le travail peut durer jusqu’à 18h par jour, avec des cadences infernales. Patrice Roturier décrit cet enfer dans son documentaire "Islandais". Pendant la pêche, les marins se positionnent le plus souvent le long du bord afin d’être face au vent. Cette technique les pousse à lutter contre les vents glaciaux chargés d’embruns. Mais elle leur permet surtout de préserver leur matériel de pêche. En procédant ainsi, ils évitent aux lignes de passer sous leur bateau. 


"Montez à bord d'une de ces goélettes dès qu'elle jette l'ancre en rade, et allez voir de vos propres yeux comment vivent ces hommes, comment ils mangent et dorment dans des cloaques empuantis d'immondices, sans eau douce pour leur hygiène, sans latrines pour leurs besoins, et vous comprendrez que seul l'abrutissement par l'alcool leur permet de supporter non seulement ces conditions, mais aussi et surtout l'image d'animal corvéable à merci que cela leur renvoie d'eux-mêmes."

Citation du roman "À Islande" de Ian Manook.

Le désastre humain de la "pêche à Islande"

Musée Milmarin Paimpol

Les armateurs sont soucieux de faire des économies, pas de préserver une vie humaine. Ils ne font d’investissement ni pour la sécurité des matelots, ni pour équiper les bateaux. L'insalubrité à bord et la rudesse du travail mènent à l'inévitable : blessures à répétition non soignées et maladies contagieuses. Le musée Milmarin, à Ploubazlanec, à côté de Paimpol, rend hommage à ces marins-pêcheurs bretons. 


A la fin de la « pêche à Islande », il est estimé que 120 goélettes ont fait naufrage ou ont coulé, et environ 2000 marins sont décédés. Ces conditions précaires seront peu à peu améliorées. Il faudra quand même du temps (et des décisions gouvernementales) aux armateurs pour équiper les bateaux de canots de sauvetage, de bouées et de de ceintures. Mais tous ne le feront pas, au détriment des matelots à bord. Le site paysan Breton retrace le quotidien de ses marins, ces islandais qui ont sacrifié leurs vies dans l'espoir d'une meilleure à leur retour. 




Hommage des Islandais aux marins bretons


Plaque commémorative des pêcheurs bretons au cimetière de Reykjavik Islande

Dans les Fjords de l’Est, la petite ville de Fäskrusfjordur accueillait les marins-pêcheurs bretons. Le port servait de base aux français. D'ailleurs, Fäskrusfjordur signifie la baie des Français. Le nom des rues est écrit en islandais et en français. France 24 consacre un reportage de quelques minutes sur l'Histoire française des lieux. 


Dans son livre "À Islande", Ian Manook raconte l'activité qui régnait dans ce village islandais lorsque un navire accostait ou échouait... Extrêmement documenté, le roman décrit la réalité abrupte du quotidien. Le système mis en place par les industriels de la pêche et les gouvernements successifs sont décortiqués par Ian Manook. Le lecteur prend de plein fouet les vicissitudes de la "pêche à Islande", tant du côté des Islandais que des Français. 


"Le bateau empeste le sang et la saumure. Plus aucun homme n'ose bouger de son poste de travail tant le pont est visqueux. Ils boettent, hissent, gaffent  et égorgent à tour de bras les morues qui se débattent. Les pieds dans les tripes, des poissons à l'agonie jusqu'aux hanches, ceux de l'étal les piquent, les éventrent et les décapitent d'un geste mécanique. Des morues par milliers. Ce n'est plus une pêche, c'est un massacre, une frénésie meurtrière."


Découvrez l'interview de Ian Manook pour Toute l'Islande. Il y parle de son livre sur les marins pêcheurs bretons ainsi que de sa découverte de l'Islande et de sa passion pour ce riche petit pays.


À Reykjavik, dans le cimetière appelé Hólavallagarður, une plaque commémorative trône dans le carré réservé aux marins disparus en mer. Dessus, une citation tirée du livre de Pierre Loti, Pêcheurs d’Islande, est inscrite en français. Aujourd’hui la commune de Paimpol est jumelée avec celle de Grundarfjördur, située dans le nord de la péninsule de Snæfelsness


Le Musée Skogar, tout au sud de l’île, expose, entre autre, la vie des pêcheurs islandais du XIXème siècle. Vous y découvrez les habits types en cuir d’un marin-pêcheur, avec cette originalité d’accessoires : les gants à deux pouces. Le tissu au niveau du pouce s’use extrêmement vite avec le maniement des lignes et des cordes. Les Islandais ont donc rajouté de la matière à leurs gants pour les rentabiliser au maximum. 


La pièce maîtresse du musée est le bateau nommé Petursey. Ce navire de pêche à huit rames a navigué en haute mer presque un siècle, de 1855 à 1946. Les Islandais naviguaient sur des voiliers, avant l’apparition des palangriers mieux équipés pour la pêche en haute mer.



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