La poésie scaldique et les poètes d'Islande


Les scaldes ont inventé et transmis la poésie la plus complexe des temps médiévaux. Véritable prouesse lexicale et rythmique, la poésie scaldique est autant historiographique qu'artistique. Les grands poètes scaldiques étaient, et sont toujours, renommés en Islande. Aujourd'hui, peu d'Islandais sont capables de comprendre la structure de ces poèmes. Et encore moins capables de composer un poème du même ordre.
 
Héritiers des scaldes, les poètes islandais contemporains conservent les valeurs structurelles du poème, tout en balayant sa rigidité. Le contenu et le message prennent de l’importance. La poésie islandaise, via des poètes comme Einar Benediktsson ou Jónas Hallgrímsson, traite davantage des notions propres à l’atypisme du pays : insularité, nature sauvage et insoumise, dépendance politique, etc. Très peu traduits, les poètes d’Islande demeurent respectés et considérés en leur pays.

Origines de la poésie scaldique


La poésie scaldique est typiquement scandinave. Née sur les rives de la Baltique au VIIe siècle, puis exercée par les Norvégiens, la poésie scaldique devient dès le Xe siècle exclusivement islandaise. L'origine du nom est incertaine, elle pourrait suggérer l'idée de hurler.


Le scalde est un poète, membre de la garde rapprochée des Jarls ou des rois germaniques. Il joue le rôle d'historiographe chantant les prouesses du roi et célébrant les grands événements de son règne. Parfois, rarement, le scalde prend la liberté d'exprimer ses sentiments. À l'origine, la poésie scaldique n'était qu'orale. Elle n'a commencé à être consignée par écrit qu'au XIIe siècle, en Islande.

Structure des poèmes scaldiques


Enluminure scaldique Islande

Le contenu n'est pas le point central de la poésie scaldique. L'important, c'est sa structure, sa facture, la manière dont l'auteur conte le sujet. Il doit maîtriser la métrique. Il existe différents mètres dans la poésie scaldique : les allitérations, les accents, le nombre de syllabe, l'ordre des mots, etc. Dans son Edda, Snorri Sturluson dénombre plus de cent manières différentes de composer un mètre.


Le vocabulaire utilisé a également son importance. Le procédé est simple : le scalde n'a pas le droit de nommer les choses ou personnes par leur nom. Il doit utiliser des synonymes, des heiti. Par exemple, pour "bouclier", le scalde peut utiliser le terme "targe" ou "tilleul" (le bois des boucliers). 


Il peut également utiliser des périphrases (kenning), par exemple "l'arbre de la bataille" pour "guerrier". Par ce procédé, le scalde réussit souvent à exprimer plusieurs idées à la fois. Le kenning nécessite une grande culture générale, notamment de la mythologie nordique. C'est dans le but de transmettre cette culture que Snorri compose son Edda.


La syntaxe, elle, est totalement libre. L'ordre des mots dans la phrase n'a pas vraiment de sens. Cela ne gênait apparemment pas les Islandais qui pouvaient écouter ces poèmes sans difficulté. Certains savants estiment que chaque poème était déclamé selon un ton particulier qui correspondait à sa syntaxe. De cette manière, l'auditeur savait à quoi s'attendre et pouvait comprendre sans problème un texte qui, à l'écrit, se révèle très ardu.

 

Les grands scaldes d'Islande


Egill le Scalde

Contrairement aux auteurs des sagas le plus souvent anonymes, les scaldes sont connus. Le plus célèbre d'entre eux, le premier, est norvégien. Braggi Boddason, qui vécut au IXe siècle. Ce poète pourrait être à l'origine du Dieu de la poésie Bragi, un Dieu très tardivement attesté. Pour Régis Boyer, Bragi pourrait même être Óðin lui-même. 


En Islande, le plus célèbre de tous les scaldes est Egill, fils de Grímr le Chauve, héros d'une saga éponyme écrite par Snorri Sturluson. Egill composa un poème après la mort de ses deux fils. Il y déplore leur perte, tout en réalisant qu'avec ce texte, il leur assure une célébrité qu'ils n'auraient peut-être pas pu avoir s'ils étaient en vie. Sa tombe est dans le village de Borgarnes.


La poésie scaldique est, de par sa complexité, bien difficile à appréhender pour un non-Islandais. Toute traduction perd le sens premier du poème. Les Islandais ont composé des poèmes scaldiques jusqu'au XIVe siècle, y intégrant même la christianisation. Aujourd'hui, ces poèmes sont la preuve, une de plus, du "miracle islandais", cette extraordinaire embellie intellectuelle qui habita l'île avant la mise sous tutelle.


Poésie islandaise : des poètes inspirés des scaldes


Héritiers des scaldes, les poètes islandais contemporains donnent à lire une des plus belles poésie du monde. Dès le XVIIe siècle, des auteurs de talent émergent, respectant les codes de leurs ancêtres tout en inaugurant une nouvelle vague de textes plus accessibles. La poésie islandaise reste cependant difficile à traduire tant l'art de leurs poèmes se magnifie dans leur langue natale.

L'Islande inspire les poètes

Poésie Islande Gyrðir Eliasson

 Les thèmes abordés dans la poésie islandaise sont évidemment très marqués par l'atypisme du pays. Outre les thèmes "classiques" de la poésie telle que l'amour et la mort, une grande place est faite à la nature majestueuse et sauvage de l'Islande


       C'est un malentendu

       la mer n'a pas été

       là depuis l'origine


       Elle n'est que

       les larmes salées


                  Extrait d'un poème de Gyrðir Eliasson

Hannes Pétrusson - Poésie Islande

Les poètes sont les penseurs de notre temps. Ceux qui nous disent joliment que rien ne va. Savoir lire et ressentir la poésie. Comprendre le monde. Ces notions sont au sein de la poésie islandaise, empreinte de pessimisme, de spleen et de mélancolie.


        Dans les Jóncs d'un étang

        une jeune fée, triste, reste assise

        avec sur son genou

        un rayon de lune, tel un enfant mort.


                  Extrait d'un poème de Hannes Pétursson



Hallgrímur Pétursson, poète du religieux

Hallgrimur Petursson Poésie islandaise

HallgrÍmur Pétursson est un des poètes les plus célèbres d'Islande. Il vécut au XVIIe siècle. Cet ouvrier non-diplômé fut d'abord nommé ministre à Hvalsnes avant d'obtenir un poste convoité au fjord Hvalfjörður. Il fut également pasteur luthérien. 


Excellent prédicateur, il composa des psaumes, des louanges, des prières et des chants. L'œuvre la plus connue, Passíusálmar (Psaumes de la Passion), relate la Passion du Christ. Ce recueil très complet propose un hymne à chanter pour chaque jour du carême. Il écrit d'autres textes, comme l'Aldarháttur, ainsi que des comptines pour enfants. 

Einar Benediktsson, le poète islandais le plus célèbre

Tombe Einar Benediktsson

Einar Benediktsson est l'un des plus grands poètes islandais de la fin du millénaire, si ce n'est le plus grand. Einar Benediktsson a vécu dans l'Islande du XIXe siècle et a donné un nouvel élan à son pays en quête d'indépendance nationale


Poète, journaliste, juriste, Benediktsson fonda le premier quotidien d'Islande, Dagskrá. Il fut également l'un des fondateurs de la première université islandaise et contribua grandement à l'implantation du télégraphe dans son pays. Einar Benediktsson est considéré comme un néo-romantique. L'élément aquatique est omniprésent dans ces poèmes. 


Malheureusement, sa renommée peine à dépasser les frontières de son pays. Ses œuvres sont très peu traduites ou publiées à l'étranger. Il fut le premier Islandais à être enterré dans l'enceinte de Þingvellir, juste à côté de l'église. Sa tombe 'en photo ci-dessus) y jouxte celle de Jónas Hallgrímsson. 

Einar Benediktsson Poésie Islande

Du septième ciel aux confins de la mer

montent les soleils dansants devant les tentures ouvertes, et les ondes de la mer de lumière, aux plis virevoltants, déferlent et bouillonnent contre le rivage de l'ombre.

C'est comme si une main cachée

s'amusait à faire un cercle avec des sceptres et des anneaux étincelants.

Maintenant, tout ce qui est mort fixe les pays de la vie depuis les routes barrées, depuis les tumulus sombres, et les rochers couverts de frimas dévisagent la mer silencieuse et de leurs yeux cristallins lèvent le regard jusqu'au ciel.


Traduction Patrick Guelpa


Jónas Hallgrímsson

Poète du XIXe siècle, Jónas Hállgrimsson nous ouvre les portes d'une Islande défaitiste, sous le coup de la domination danoise. Une Islande contre qui le sort se déchaîne, une sorte de victime prise au piège et impuissante.


Jonas Hallgrimsson Poésie islandaise

Dalabóndinn í óþurrknum

Hví svo þrúðgu þú

þokuhlassi

súldanorn

um sveitir ekur?

Þér man eg offra

til árbóta

kú og konu

og kristindómi.


Le fermier dans le mauvais temps

Pourquoi mènes-tu

ton chargement de brouillard

sorcière du crachin

sur les champs?

Je pourrais te sacrifier

pour avoir un remède

ma vache et ma femme

et ma foi chrétienne.


                      Traduction Romain Mathieux

Les poètes atomiques


Vers la moitié du 20e siècle, de jeunes poètes islandais, bien que dans la lignée de l'art traditionnel poétique de leur pays, rompent avec le genre et révolutionnent la poésie islandaise.

Jon Oskar Poésie islandaise

L'Islande d'après-guerre s'est ouverte au monde. Avec elle, ses poètes. Ces tous nouveaux scaldes modernes se laissent influencer par les littératures et poésies américaines, anglaises et françaises.


Il en découle une nette rupture avec la poésie scaldique davantage dans sa forme que dans son fond. En s'attaquant à la structure même des poèmes, ces auteurs furent surnommés avec mépris "Les atomiques", en référence à la bombe Hiroshima et à ses conséquences destructrices. 


Pourtant, en se libérant des contraintes de l'art scaldique, ces poètes, à l'instar de Jòn Óskar ou Einar Bragi, modernise profondément la poésie islandaise

Le conseil lecture de Toute l'Islande


Bibliographie poésie islandaise


Bibliographie Poésie islandaise

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